Il y a un mois, la cour suprême des États-Unis votait la révocation de l’arrêt Roe vs Wade, annulant le droit à l’avortement dans tout le pays. C’est pourquoi, cette semaine, nous parcourons l’histoire de ce droit, encore inégalement acquis dans le monde.
Bien que le débat semble sans fin, cette intervention a toujours été pratiquée peu importe l’époque ou la société. Souvent opéré en toute illégalité, ce traitement pouvait être dangereux pour la femme opérée. Religion et repeuplement de la nation, ces deux objectifs imposés permettaient de contrôler la natalité d’un pays.
L’Antiquité
Déjà durant l’Antiquité, le Code Hammurabi, interdit l’avortement dans la Mésopotamie antique. Il est le code de lois le plus connu de l’époque. L’Égypte régit ces interventions médicales à travers le Papyrus Ebers, traité médical permettant aux femmes d’accéder, à certaines conditions, à l’avortement.
Même s’il n’y pas officiellement de texte à ce sujet dans la Rome antique, il est certain que cet acte était mal perçu dans la société. En effet, en cas d’interruption de grossesse, le père était privé de son droit à l’enfant, et donc d’une descendance. Ce n’est qu’au IIIe siècle, que l’empereur Caracalla punit l’avortement dans l’objectif de contrôler la démographie.
À cette époque, l’usage de plantes médicinales est très courant. Le Syphilion et la Myrrhe, par exemple, sont des plantes abortives et contraceptives régulièrement utilisées
Le Moyen Âge
Tout au long de la période médiévale, l’église chrétienne condamnent fortement l’avortement. Toutefois, en fonction du stade de la grossesse et de l’église concernée, le châtiment n’est pas le même. La peine des catholiques prévoit généralement d’excommunier, d’exiler, la femme qui a avorté de la communauté. Cependant, certains groupes religieux, comme l’église protestante, peuvent se révéler plus ouverts si la mère est en danger de mort.
Au XIIIe siècle, les théologiens chrétiens partent du principe que les garçons ont une âme à partir de 40 jours, contre 80 jours pour une fille. Cette différence peut servir à justifier ou dépénaliser les femmes ayant recours à cette pratique.
La Renaissance
Au XVIIe siècle, l’artiste peintre et naturaliste Anna Maria S. Merian a voyagé au Surinam afin d’y étudier les insectes. Durant cette exploration, elle y découvre des esclaves en Guyane qui utilisent une plante, la “Fleur du paon”, afin d’interrompre leur grossesse. L’objectif pour elles, était de ne pas offrir une vie d’esclave à leur progéniture.
Du XVIIIe au XIXe siècles, les remèdes à base de plantes sont abandonnés. Des femmes médicalement non-qualifiées pratiquent les interruptions de grossesse : elles sont alors surnommées les Faiseuses d’Anges ou les Tricoteuses. Le premier terme est défini en 1877, il désigne une nourrice qui laisse mourir en enfant innocent : un ange. Plus tard, cette appellation désignera les avortements illégaux.
Le XIXe : Popularisation de l’IVG clandestin
Injections d’eau mélangée avec du savon dans l’utérus, massages, sondes, aiguilles à tricoter pour percer la poche amniotique. Ces pratiques dangereuses permettaient d’éviter les grossesses non désirées, et secourait les femmes de la bourgeoisie refusant d’avoir une famille nombreuse. Certains articles de presse féminine parlent également de Perles magiques, faisant ainsi de la publicité mensongère pour des médicaments douteux.
Au Royaume-Uni, en 1803, le Lord Ellenborought’s act punit l’avortement de la peine de mort, dès les premiers battements de coeur du foetus. En 1861, l’Offences against the person act devient une infraction pénale entraînant un emprisonnement à vie.
En 1810, en France, c’est l’article 317 du Code pénal qui condamne fermement toute pratique abortive, à la fois pour la femme et pour les médecins assistant l’opération :
Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l’avortement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion.
Gallica – BNF
La Méthode Karman, expérimentée en Chine en 1958, va véritablement émerger dans les années 1970 et révolutionner la médecine. D’après le psychologue Harvey Karman, l’aspiration du foetus serait moins dangereuse et pourrait être effectuer dans un cadre non-médical. Le mouvement féministe Self–help, s’appuie sur cette découverte pour expliquer son objectif : obtenir l’Indépendance gynécologique pour les femmes.
Le XXe siècle
Le XIXe et le XXe siècle ne libèrent pas immédiatement les mœurs. Tout d’abord, la religion condamne fermement l’avortement. Puis, les deux guerres mondiales vont encore accentuer la pression sociale autour de la maternité.
La France et l’IVG : une bataille de longue haleine
En 1920, l’Assemblée Nationale vote une loi interdisant à la fois la contraception et l’avortement. Ainsi, l’État pousse de nombreuses femme à avoir recours à des opérations clandestines, toujours aussi dangereuses pour la vie des mères. En 1939, le Code de la famille va à nouveau durcir les lois. Jusqu’en 1942 où l’État reconnait l’IVG comme étant un crime contre la famille. Les punitions peuvent aller des travaux d’intérêt général jusqu’à la peine de mort. Marie-Louise Giraud, une faiseuse d’anges de Cherbourg est exécutée par guillotine le 30 juillet 1943 après avoir pratiqué 26 avortements.
Cette période va durer 40 ans, une durée pendant laquelle le féminisme va s’emparer de cette cause. En 1967, la loi Neuwirth va permettre l’accès à la contraception sous prescription médicale. À partir de là, l’émancipation des femmes n’est plus qu’une question de temps. En 1971, le Manifeste des 343 Salopes, pétition signée et publiée dans le Nouvel Obs demandant la légalisation de l’avortement :
“Un million de femmes se font avorter chaque année en France… Je déclare que je suis l’une d’elles”
En décembre 1973, l’Assemblée nationale examine une première fois ce projet de loi. Fraîchement arrivée en mai 1974, Simone Veil, Ministre de la Santé, est chargée de reprendre l’affaire. Son discours en novembre de la même année deviendra mythique, remuera tout le pays. La loi sera finalement promulguée le 17 janvier 1975 et réellement appliquée en 1979, après la mobilisation de nombreuses femmes.
Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. “
– Extrait du discours de Simone Veil en Novembre 1974
Le Royaume-Uni : en avance face à la France
Le Royaume-Uni vote en 1929 la loi Infant Life Preservation Act qui autorise l’avortement si une vie est mise en péril par la grossesse. En 1968, l’Abortion act voté en 1967 dépanalise l’avortement sous de très nombreuses conditions : il faut deux médecins et il faut au moins que le fait d’accoucher représente un risque pour l’enfant ou la mère. À partir de 1979, un conjoint ne peut plus empêcher sa femme d’avorter. Il faut finalement attendre 1990 pour que la loi Human Fertilisation and Embryology Act, libère définitivement l’acte en lui-même. Dorénavant, il est possible d’y avoir recours jusqu’à 24 semaines, s’il y a un risque pour l’intégrité physique ou mentale de la mère, de l’enfant. L’Écosse suivra, contrairement à l’Irlande du Nord, où le droit y est encore très restreint.
De nos jours
L’actualité américaine de ce dernier mois, remémore au monde occidental . Depuis l’annulation du droit à l’IVG du 24 juin 2022, 17 États ont accepté d’interdire l’avortement aux USA.
USA : loi sur l’IVG annulée
Rapidement, des États comme le Texas ou le Mississipi ont interdit l’IVG, parfois même en cas de viol, comme en Ohio. Alors que d’autres, comme la Californie ou le New Jersey, ont renforcé la loi afin de protéger le droit à l’avortement. Sur le long terme, les États pro-avortement ont pour objectif de prouver que les lois anti-avortement sont une atteinte aux lois individuelles de la constitution américaine. Le but du gouverneur de la Californie est de contrer les lois anti-avortement : “Si le Texas peut interdire l’avortement et mettre des vies en danger, la Californie peut interdire les armes à feux et sauver des vies.”
Actuellement, des manifestations américaines continuent de tenter de renverser la situation. Des personnalités politiques s’impliquent tout particulièrement dans ce débat. Récemment, la parlementaire démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a été arrêtée pour avoir défilé près du capitole. Sur 30 personnes arrêtées, 18 sont membres du parti démocrate.
Ce 22 Juillet 2022, une loi d’urgence a été votée aux USA. Tout contraceptif prescrit par un médecin est un droit, ainsi les professionnels de santé prescrivant des contraceptifs sont également protégés. Youtube s’implique elle aussi dans le débat politique, luttant depuis quelques années contre la désinformation et les fake news, la plateforme va supprimer les informations jugées dangereuses sur le thème de l’IVG. De plus, il y aura des panneaux d’informations en-dessous des vidéos, relatifs aux autorités locales.
L’IVG, un accès encore inégal
L’IVG est encore interdit dans une vingtaine de pays d’Afrique, dans le micro-état du Vatican, ainsi qu’à Malte ou en Andorre. Dans d’autres pays comme le Yémen ou la Birmanie, l’accès y est très difficile. Il existe des sociétés où l’avortement est encore difficile d’accès. Au Japon, il coûte l’équivalent de 800 euros et n’est possible qu’en cas de de danger pour la santé de la mère. C’est pourquoi, certaines cliniques proposent des casiers pour abandonner son enfant. En effet, l’IVG étant quasi impossible, beaucoup de mères se retrouvent dans l’obligation d’y laisser leur nourrisson.
Pour aller plus loin, vous pouvez vous diriger vers certaines œuvres littéraires : L’Événement d’Annie Ernaux, ou encore la Servante Écarlate de Margaret Atwood, l’histoire qui a inspiré la série à succès. Si vous aimez les approches purement historique, nous vous conseillons l‘Histoire de l’avortement écrit par Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti.
Pour plus d’informations sur l’Histoire et l’Émancipation des femmes : D’exploratrices à pionnières : 5 femmes à (re)découvrir.
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